Tout gentleman qu’il est, quand Henri Beyle — connu sous le nom de plume de Stendhal — quitte Bologne le 19 janvier 1817, il se trouve dans un état d’excitation assez avancé. Pendant son séjour, il a suivi chaque jour le même rituel : contemplation de la Sainte Cécile de Raphaël, marche jusqu’à la cascade du Reno… Plus qu’un voyageur, c’est un pèlerin en quête de beauté.
Sur la route de Florence, son agitation augmente encore. Il a tant lu sur cette ville que, avant même d’y avoir mis les pieds, il en connaît par cœur le plan des rues. À peine arrivé, il fonce à l’église de Santa Croce où un moine le guide devant les tombes de Machiavel, Michel-Ange, Galilée, puis jusqu’aux plafonds de Volterano. Là, Henri est pris de palpitations. Submergé par la beauté, il manque de s’effondrer…
Depuis, le "syndrome de Stendhal" désigne le vertige, au sens propre du terme, qu’un voyageur peut ressentir devant une accumulation d'œuvres d’art avec lesquelles il ressent une connexion particulière, jusqu'à le deconnecter de la réalité. Il fait partie de ce qu’on appelle les syndromes du voyageur, dont il existe de multiples variantes tout autour du monde : syndrome de Jérusalem (crise mystique en Terre sainte), syndrome de Paris (dépression née de la confrontation entre le Paris fantasmé et la réalité), syndrome de l’Inde (provoqué par le trop grand décalage culturel)...
Mais pour beaucoup, un doute persiste… Et si les palpitations de Stendhal n’étaient qu’une mise en scène ? Certains rappellent que Stendhal, addict au café et en surpoids, a pu faire un simple malaise vagal en cherchant à regarder au plafond… D’autres s’aperçoivent que le récit de cette “extase” n’apparaît que dans la deuxième édition de Rome, Naples et Florence — une version largement réécrite sept ans après les faits…
Mythe ou réalité, le syndrome de Stendhal contribue à populariser le voyage en Italie — tel un post Instagram habilement retouché. Aujourd’hui ? Les voyageurs peuvent ressentir ces mêmes vertiges quand, sur la foi d’une photo aperçue sur les réseaux sociaux, ils se décident à voler jusqu’en Norvège, puis à marcher dix heures pour obtenir sa photo sur le rocher de Trolltunga (photo) — sans imaginer une seule seconde qu'il faudra patienter parmi la foule qui s’y trouve pour l'obtenir. Comme quoi, les voyageurs n’ont pas attendu Instagram pour enjoliver leurs souvenirs… ou leurs récits.